Le prix du foin est en hausse et une solution à cette augmentation demandera d’agir à la fois individuellement et collectivement.
Pour quiconque œuvre de près ou de loin en agriculture, ce fait n’est pas nouveau : le prix du foin a connu dans les dernières années une forte hausse et ne voit pas de signe s’estomper à long terme. Alors que la production de foin suffisait à peine à répondre à la demande dans la province, plusieurs événements liés à la météo ont contribué depuis environ quatre ans à la forte augmentation des prix observée depuis surtout trois ans.
La région du Bas-du-Fleuve a été aux premières loges des problèmes liés à la sécheresse. Récurrent depuis plusieurs années, le temps sec a causé de graves problèmes de pénurie qui ont mené à des opérations d’urgence pour fournir les producteurs agricoles de la région. Le phénomène météo s’est amplifié et s’est étendu à la grandeur de la province en 2020 sous la forme d’un printemps exceptionnellement sec qui s’est prolongé jusqu’au début de l’été. En conséquence, la première fauche qui fournit presque 50% de la production annuelle a été presque nulle en certains endroits de la province et les fauches subséquentes n’ont pas été suffisantes pour combler regarnir les réserves.
La situation en 2020 n’aurait pas été si grave si cette sécheresse n’était pas survenue après une autre année déjà difficile. En 2019, les conditions hivernales ont mené à la perte d’un bon nombre de luzernières dans le sud du Québec et dans la couronne de Montréal, ce qui a eu un effet direct sur la production de fourrage.
L’ensemble de ces événements météo a eu un impact direct sur la demande. Selon les calculs du CECPA, le prix du foin en balles rondes a augmenté de 109% entre 2018 et 2019 et de 112% de 2019 à 2020. Cela représente une augmentation moyenne de 15 $ par balle ronde en deux ans. La hausse de prix est plus marquée en régions périphériques où le prix était moindre. L’écart de prix entre les régions a donc connu un resserrement depuis 2018. Au niveau régional, la Montérégie et Lanaudière demeurent les régions où le prix est le plus élevé.
Des réserves de foin absentes
Chez Norfoin, un des plus importants commerçants de foin de la province, la demande est forte et le téléphone sonne sans arrêt depuis juin 2020. Pour Luc Normandin, président de Norfoin, la situation n’est pas surprenante. Selon le commerçant de foin, les prix actuels reflètent la rareté des fourrages, mais également, le coût réel du foin. Norfoin, qui importe et exporte du foin partout dans le monde, vend différents formats et qualité de foin. Les formats varient de la petite à la grosse balle compacte, en plus des grosses balles rondes. Le prix varie en conséquence, soit de 200$ à 400$ la tonne.
Luc Normandin - Président de Norfoin
Depuis 2018, M.Normandin estime que le prix du marché correspond au coût de production. Mais il observe comme tout le monde que la sécheresse a causé une pénurie alors que les surplus étaient à peine existants.
Agronome pour Sollio Agriculture, Jean-François Lemay, constate également une demande soutenue puisque les réserves de foin sont quasi nulles depuis deux ans. Celui qui se penche sur la question de l’approvisionnement en fourrages ici et ailleurs en Amérique du Nord observe que le marché de la revente de foin est encore très actif ce printemps, mais selon deux marchés distincts. D’un côté les marchands fonctionnent avec des standards de qualité et de volume alors qu’un autre marché en parallèle regroupe des vendeurs sans référence ou cadre concernant la grosseur des balles, le type de foin, les variétés de plantes qui s’y retrouvent, ou encore la qualité. Surtout, les prix sont très variables selon les régions dans la province et parfois même, entre villages.
Jean-François Lemay - Agronome chez Sollio Agriculture
D’après Luc Normandin, les prix devraient demeurer élevés en 2021 bien que la rareté s’estompe légèrement. Personne ne peut prédire la météo et anticiper les rendements de cette année, mais même s’il souhaite à tous une bonne production fourragère (il produit lui-même du foin), le commerçant estime que ce ne sera pas suffisant pour renverser la tendance des prix. Plusieurs facteurs contribuent selon lui à des prix élevés. Et le phénomène de pénurie n’est pas unique au Québec, il existe mondialement. « Il y a plus de demande que d’offre », confirme celui qui exporte jusqu’à Dubaï.
Une pénurie aux nombreuses causes
Rien ne laisse en envisager à court terme un renversement de tendance dans les prix, avance M.Normandin. D’autres facteurs expliquent en effet selon lui la pénurie actuelle et la hausse des prix qui s’en suit. Les producteurs ont délaissé peu à peu la production de foin dans les dernières années pour s’approvisionner chez des commerçants. Comme la rentabilité de la culture fourragère était moindre que pour les grandes cultures, le mouvement s’est accéléré. « Depuis deux ou trois ans, il n’y a pas de surplus ».
Si les producteurs d’ici pouvaient auparavant compter sur des fourrages produits à l’extérieur de la province, ces ressources n’existent plus, pour les mêmes raisons que la production de foin a diminué au Québec. Les producteurs se sont tournés vers des cultures plus rentables, réduisant l’acréage en fourrage. Les superficies consacrées à la culture ont diminué de 25% au Québec depuis les années 80. « Toutes les statistiques mènent au même constat, il y a une baisse continuelle de la production de foin depuis 20 ans. La production bovine a diminué et la production laitière se maintient, ce qui a réduit les superficies dédiées aux fourrages », mentionne Alphonse Pittet, producteur laitier en Mauricie et président du Conseil québécois des plantes fourragères. Il déplore le fait que certaines terres, comme dans son coin en Mauricie, soient dédiées aux grandes cultures alors que les UTM sont nettement insuffisants. « Ce n’est pas une agriculture durable ».
M.Normandin ajoute que des producteurs délaissent de plus en plus la culture des fourrages pour d’autres raisons. « Il y a beaucoup moins de petits producteurs. On le voit ici et ailleurs, comme aux États-Unis, les agriculteurs forment un groupe vieillissant et rendu à un certain âge, ils vendent leurs presses ». Il le constate, certaines connaissances sur la production ne se transmettent pas à la jeune génération.
« Il y a tout un défi de réimplanter les fourrages », acquiesce M.Pittet. La hausse des prix des céréales n’aide pas à les rendre plus attirantes. « Ce sont des gens d’affaires, ce serait surprenant qu’ils changent », dit-il en parlant des producteurs de grandes cultures et la hausse spectaculaire du prix des grains dans la dernière année.
D’ailleurs, sans avoir pris la même ampleur, le prix de la paille connait aussi une embellie. Les balles rondes ont enregistré un bond de 117% dans le prix entre 2018 et 2019, suivi d’une hausse de 120%. La même combinaison de facteurs joue ici : les sécheresses ont réduit considérablement la quantité de paille, surtout en 2020, et les superficies consacrées aux céréales à paille diminuent d’année en année au Québec depuis le début des années 2000. Encore ici, la question de la rentabilité a joué dans la décision de semer des céréales et par conséquent sur la quantité de paille disponible. La chute des prix sur les marchés depuis 2012 a joué alors que le rendement stagne depuis plusieurs années dans ces cultures.
Des solutions
À court terme, Alphonse Pittet ne voit pas une solution, mais un ensemble de solutions à mettre en place. Le défi, fait-il valoir, est de taille. « Le plus gros problème, c’est qu’on (les producteurs) n’est pas prêts à affronter les changements climatiques », en soulignant que les fourragères sont particulièrement sensibles à la sécheresse.
Si le milieu impliqué par la question des fourrages est plus effervescent, il souhaiterait voir se mettre en place une filière pour aider les producteurs, afin de minimiser les essais-erreurs que chacun fait dans son coin. « Le producteur ne peut pas supporter seul le fardeau, il faut travailler ensemble ». Le travail doit porter dit-il sur des cultivars et des espèces plus résistantes, tout comme sur de meilleures techniques et de meilleurs équipements.
Alphonse Pittet -producteur laitier en Mauricie et président du Conseil québécois des plantes fourragères
Il faut aussi revenir à la base d’une bonne gestion de troupeau. Les fourrages rapportaient bien il y a 30 ans sans y mettre trop d’efforts, mais la donne a changé. Une bonne régie donne de bons fourrages avec des surplus, un aspect qui se reflète sur la performance des animaux, souligne le producteur laitier.
Enfin, M.Pittet souhaiterait un appui des gouvernements. De nombreux programmes existent par exemple au fédéral afin d’encourager les producteurs à contrer les changements climatiques par la captation de carbone. Rémunérer les producteurs serait une bonne approche, en combinant une sensibilisation aux couverts végétaux. La période actuelle est favorable selon lui, surtout si on se compare il y a cinq ans. « La sensibilisation du public est plus grande, comme celle du gouvernement ».
En tant qu’agronome spécialisé en fourrages, Jean-François Lemay plaide quant à lui pour l’adoption d’une autre vision de la production et des besoins des animaux. « Les besoins des troupeaux ont changé. Avant une vache produisait peut-être 10 000 litres de lait par année, mais aujourd’hui, elle peut en produire 13 000. Ça met de la pression pour être plus efficace, et parfois, à prendre des raccourcis.» Ces raccourcis peuvent prendre la forme de suppléments, ce qui n’est pas mal en soi, ou encore à négliger de faire ses calculs pour estimer les coûts véritables du foin produit ou acheté. « Combien ça coûte faire du foin? C’est quoi ton coût de production par kilo de matière grasse? Si on posait la question, il y a environ 10% de gens qui le savent vraiment (…) C’est pourtant une donnée importante à savoir quand la marge du foin dans les dépenses est d’environ 60%. »
Pour connaitre ses coûts, affirme l’agronome, il faut faire l’exercice pas toujours excitant de confirmer le pourcentage de l’utilisation du tracteur et de la machinerie consacré aux chantiers de foin, calculer leur amortissement et leur valeur, compter la quantité produite de foin, etc. Cet exercice est nécessaire pour avoir des références et évaluer les coûts. Et si ça peut paraitre pénible à faire, bonne nouvelle, la deuxième fois est plus facile, encourage M.Lemay. Par la suite, les producteurs seront en mesure de faire des choix éclairés. Par exemple, savoir si le prix du foin est dans nos moyens ou non, s’il vaut mieux le produire soi-même, ou encore, mieux répartir les fourrages selon les besoins des vaches en production versus celles taries.
Des solutions hybrides pourraient également s’imposer comme étant meilleures pour la ferme, par exemple en confiant ses foins à forfait, selon ses besoins et son troupeau. Cette formule évite de passer l’été aux champs en surveillant sans arrêt le site d’Agrométéo pour réaliser le chantier de foin dans les meilleures conditions, ce que plusieurs producteurs ne souhaitent plus faire. M.Lemay avoue toutefois que ses propositions comme celles-ci ne sont pas toujours bien accueillies. Pourquoi? « On me répond que ça coût trop cher…sans vraiment savoir si ça l’est ».
Par Céline Normandin